08101962

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

DOCUMENTS D'HISTOIRE

  • LE DERNIER TOUVEUR DU RHÔNE

    Des dizaines de voiliers de plaisance sont amarrés au port de l'Epervière, et les habitants de Valence aiment venir les admirer lors de leur promenade dominicale.

    Un peu à l'écart, tout rouillé, couché sur le flanc, un vieux rafiot semble oublié par les hommes et le temps.Puisque nulle colère ne l'a précipité dans les affres du déchirage, qu'est-il pour être tout à la fois, toléré ici et délaissé au point d'être devenu une épave à laquelle on accorde un regard perplexe ?

    On nous dit que c'est un touveur et, qui plus est, le dernier de sa génération, l'unique trace d'une batellerie industrielle rhodanienne, aujourd'hui disparue.

    C'est à l'extrème fin du XIX° siècle que ces étonnants bateaux ont donné à la "remonte" d'un Rhône au courant bouillonnant. Sur l'artère fluviale deux cent trente bateaux parcourent alors les 300 km entre Lyon et Arles. Ils assurent quelques 10% du trafic national. Les voyageurs peuvent encore emprunter deux ou trois vapeurs à aubes, héritiers de la grande époque précédente, celle d'avant le triomphe du chemin de fer. Quelques bâtiments identiques assurent des services de messagerie. Mais la majorité de la flotte est composée de bateaux ordinaires de marchandises, pratiquement tous en bois et sans moyen de propulsion. Pour assurer le déplacement, les compagnies mobilisent une dizaine de remorqueurs, dont deux à hélice et une flotte de neufs toueurs, le tout dand une stratégie d'ensemble dictée par des  conditions de navigabilité du fleuve. En effet alors que les impératifs liés à l'expanssion industrielle imposent une requalification généralisée du réseau fluvial, le Rhône reste largement insoumis. Les ingénieurs décrivent une calamité les manques d'eau répétés sur plus de 120 seuils et deux difficultées majeures ; lesinstabilité du chenal et la force des courants dans les rapides. Un projet d'aménagement est voté par le Parlement dés 1878. Le calement des débats ont lieu dans une admosphère détestable. Les ingénieurs s'opposent sur les solutions techniques, tandis que les divers milieux financiers impliqués dans la politique de transport du sillon rhôdanien défendent avec âpreté des intêrets divergents. La Cie Générale de Navigation "Havre-Paris-Lyon-Marseille", qui exerce un quasi monopole, n'abandonne pas l'idée de concurencer le rail pour les services de messagerie, tandis que d'autres voudraient limiter son activité au transport des pondéreux.

    C'est finalement l'ingénieur Girardon (1844-1907), qui parvient à imposer une régulation "à courantlibre": pour augmenter la profondeur et la largeur du chenal, il faut construire un dispositif complexe de digues logitudinales et d'épis transversaux. Les travaux durent pendant une dizaine d'années et ouvrent une nouvelle page de l'histoire du Rhône. Celle ci s'inscrit dans l'héritage direct de cette batellerie à vapeur qui, au cours du XIX° siécle a chassé les grands équipages de la batellerie traditionnelle, mutation si bien romancée par Bernard Clavel dans "les seigneurs du fleuve".

    Dans les années 1890, la nouvelle navigabilité du fleuve permet alors à la HPLM d'envisager la création d'une ligne régulière reliant Arles à Lyon pour garantir un trafic conséquent aussi bien en descente qu'en remonte. Certes, le dispositif adopté est le fruit de décénnies de recherches théoriques mais surtout de nombreux essais et tâtonnements. Il repose sur une segmentation géographique du Rhône et sur le recours à deux types de bateaux différents, tous deux porteurs toutefois d'une innovation majeure. Entre Lyon et Tain l'Hermitage, et de Pont-Saint-Esprit à la mer, la traction des chalands en convois est assurée par de puissants remorqueurs à vapeur munis de machines à expension multiple, ce qui réduit les coûts pour se maintenir face à la concurence du rail. Entre Tain et Pont-Saint-Esprit, la forte pente du  Rhône et son impétueux courant obligent la compagnie à mettre en place un service de touage à câble de relais. Mais dés l'entre deux guerres, les toueurs sont peu à peu relégués à la csse.

    Ne subsiste que "l'Ardèche", dont l'activité se prolonge jusqu'au milieu du XX° siècle.

    Aujourd'hui, en observant attentivement certains secteurs du Rhône, onrepère des "épis Giraqui rappellent les premiers aménagements importants du fleuve. Tout comme ces murets de pierre redessinant le cours du Rhône et devenus depuis, d'étranges ruines emergeant des eaux. Le toueur "l'Ardèche" s'enfoncera-t'il dans l'oubli et la vase ? Ou deviendra t-il un objet du patrimoine, essentiel témoin de l'histoire du Rhône et de cette puissante batellerie qui fut active entre 1896 et 1936.

                                                                                                       Bernard Lesueur

                                                                           Président de l'association "Hommes et cours d'eaux"

    Pour ceux qui sont interréssés par le sujet, parmis les ouvrages sur le sujet, un est à lire : "Cap sur le Rhône: Fabuleuse histoire de navigation"

    Acte sud Maison du fleuve Rhône  Arles 2010